Schweizerischer Verband der Akademikerinnen
Association Suisse des Femmes Diplômées des Universités

"Nous sommes des naines juchées sur des épaules de géantes"

Texte lu par Danièle Kaufmann Extermann (ancienne présidente de l'AGFDU) lors du 90e anniversaire de l'Association suisse des femmes diplômées des universités (ASFDU) à Bâle, 17 mai 2014

 

"Nous sommes des naines juchées sur des épaules de géantes". Cette phrase est une adaptation d’une phrase célèbre de Bernard de Chartres (XIIe siècle). Elle signifie que j’aimerais rendre hommage, brièvement, aux pionnières qui nous ont précédées. Mes références, mes sources, sont majoritairement genevoises. Après tout, c’est de Genève, en bonne partie, qu’a été donné l’élan qui a permis la fondation de l’association suisse de femmes diplômées des universités. De plus c’est un membre de l’association genevoise qui vous parle.

Quelques pionnières

J’aimerais tout d’abord présenter quelques femmes qui ont permis l’accès des femmes à l’université et à des professions libérales.

Tout a commencé lorsque  Marie Goegg-Pouchoulin (1826-1899) a déposé une pétition soutenue par 30 mères de famille auprès du Grand Conseil pour ouvrir l’accès de l’Université de Genève aux jeunes filles. La revendication est entendue et, dans la loi votée en 1872, il est stipulé que les conditions d’accès à l’université sont les mêmes pour les deux sexes. Genève est la deuxième université suisse ouverte aux femmes, après Zurich qui a admis les femmes en 1868. Cette nouvelle loi profite d’abord aux femmes de l’Est de l’Europe qui ne sont pas admises dans les universités de leurs pays. Pour les Genevoises, il n’y avait pas alors de possibilité d’obtenir une maturité, passeport pour l’université. Il fallait prendre des cours privés et passer des examens d’admission. A partir de 1900, les jeunes filles ont eu la possibilité de suivre les cours du Collège (réservé aux garçons) et il a fallu attendre 1922 pour que l’Ecole secondaire et supérieure de jeunes filles délivre des certificats de maturité permettant l’entrée à l’université. Il n’est donc pas étonnant que parmi les premières femmes universitaires il y ait eu des étrangères qui restèrent à Genève, après mariage, ou retenues par l’université.

Les première étudiantes se sont intéressées à la médecine et aux sciences. Ainsi Henriette Saloz-de Joudra (1855-1928) issue d’une famille russo-polonaise de propriétaires terriens. Elle a étudié la médecine à Genève de 1877 à 1883, a épousé un camarade d’études, Charles-Eugène Saloz. Le couple installe son cabinet dans le quartier de Rive. Elle fut la première femme à pratiquer la médecine à Genève.

Une Genevoise, Marguerite Champendal (1870-1928) soutient sa thèse de médecine en 1900. Elle voue sa vie aux soins de la mère et de l’enfant, créant La Goutte de lait et l’école d’infirmières du Bon-Secours. Elle devient privat-docent à la faculté de médecine de 1913 à 1919.

Une autre étudiante étrangère va devenir célèbre, il s’agit de Lina Stern (1878-1968). Elle arrive de Lettonie en 1898 pour étudier les sciences et la médecine. Elle obtient son doctorat en 1903. Elle est brillante, devient assistante puis privat-docent. Elle mène des recherches remarquées et devient en 1918 la première femme nommée professeure extraordinaire (sans chaire ni traitement…) Elle s’oriente vers les neurosciences et fait des découvertes majeures avec son équipe.

En 1900, il y a 276 étudiantes à l’université de Genève, soit 33,7% des étudiants sont des femmes. Et parmi ces 276 étudiantes, il y a 10 Suissesses !

Une de ces Suissesses, Genevoise de surcroît, est Nelly Schreiber-Favre (1879-1972). Elle est admise à l’université, en faculté de droit, en 1900. Elle est la seule jeune fille inscrite en droit, doit supporter l’hostilité de certaines professeurs : « Ah ! c’est une femme qui veut jouer à l’homme ! ». Mais elle a le soutien du doyen de la faculté de droit, Alfred Martin, qui écrira une lettre au Grand Conseil lorsqu’elle demandera un changement de la loi en vigueur afin de pouvoir exercer le métier d’avocate. Les femmes étaient exclues du barreau car elles ne possédaient pas les droits civiques. La loi sera modifiée en 1904. Nelly Schreiber-Favre est la première avocate de Suisse romande. Elle ouvre son étude en 1905 et connaît le succès. Les femmes s’adressent à elle pour des problèmes de droit de la famille et d’héritage.

Fondation de l’association genevoise de femmes diplômées de l’université

C’est une femme médecin, Mariette Schaetzel (1892-1982) qui est à l’origine de l’association. Elle n’a jamais exercé sa profession car elle était de santé délicate, mais a mené une vie associative intense.

En 1923, elle rencontre à Londres Miss Bosanquet, secrétaire générale de la Fédération internationale de femmes diplômées des universités, fondée en 1919, dont un des buts était de promouvoir la paix. Cette dernière l’encourage vivement à créer en Suisse une association de femmes diplômées des universités, comme il en existe déjà dans une vingtaine de pays. Notons que la SDN a aussi été fondée en 1919, et que son siège est à Genève, ce qui rend intéressant la fondation d’une association suisse. De retour, Mariette Schaetzel va prendre conseil auprès d’Emilie Gourd (1879-1946) fondatrice du mensuel « Le Mouvement féministe ». Emilie Gourd lui conseille d’aller voir Nelly Schreiber-Favre, qui se déclare intéressée. Mariette Schaetzel poursuit ses démarches et réussit à réunir un groupe de 11 personnes, le samedi 3 novembre 1923, à 14h30, chez elle, 4, route de Florissant. Il est décidé de fonder « une association destinée à se fédérer ultérieurement aux groupements des autres cantons suisses pour entrer plus tard dans la Fédération internationale ». Un projet de statuts est adopté et un comité provisoire de 5 personnes est élu, dont Nelly Schreiber-Favre devient la présidente. Dans la foulée, les associations bernoise, bâloise et zurichoise sont fondées. Des contacts sont pris avec des Vaudoises et des Neuchâteloises. L’association vaudoise est fondée le 14 octobre 1924.

Le 22 mars 1924, l’association suisse est fondée à Berne. Nelly Schreiber-Favre en devient la première présidente et Mariette Schaetzel, la secrétaire. Un des premiers actes de la toute nouvelle association, forte de 167 membres, est d’adhérer à la Fédération internationale lors du congrès de Christiania (Oslo) en juillet 1924. Les Suissesses vont fortement s’engager dans la Fédération internationale.

Activités de l’association genevoise

Quelles sont les activités de l’association genevoise nouvellement fondée ? Il s’agit d’abord d’établir des statuts, de recruter des membres, de se faire connaître. Des réunions familières sont organisées pour que les membres fassent connaissance, autour d’une tasse de thé. C’est la manière de l’époque pour créer des réseaux…

La situation économique est très difficile à Genève dans la période de l’entre-deux-guerres. Le chômage règne, les places de travail sont rares, à plus forte raison pour les femmes. Le travail des femmes mariées est contesté. Les finances de l’Etat sont en déficit, les tensions politiques sont nombreuses et parfois violentes. C’est dans ce contexte que l’association va se positionner et se mettre au service des intérêts professionnels des femmes diplômées. L’AGFU développe un arsenal de méthodes de propagande.

Elle organise des conférences publiques et payantes, données par ses membres sur des sujets variés tels que les maladies vénériennes, l’histoire de la musique, le divorce, le travail des femmes dans son aspect médico-social. Elle participe à l’exposition de 1925 sur le Travail féminin. Elle publie à cette occasion une plaquette sur le travail intellectuel des femmes à Genève. Cette plaquette remporte un grand succès. Elle participe à l’exposition de la SAFFA, à Berne, en 1928.

Elle organise des séances d’orientation professionnelles à l’ESSJF, des cours d’éducation sexuelle. Elle défend le travail des femmes, intervient pour que des femmes soient nommées à des postes à responsabilités à l’Etat, dans l’enseignement secondaire.

Elle essaie de retenir Lina Stern à Genève. Elle intervient pour demander une chaire de professeur ordinaire, avec traitement, pour Mme Stern. La demande est refusée ; Mme Stern part pour Moscou où on lui offre une chaire à l’Institut médical et des moyens pour créer un institut de physiologie.

Elle organise le congrès de la FIFDU de 1929 à Genève. 500 déléguées de 33 pays y prennent part. C’est un succès.

Elle offre des bourses, accueille les membres d’autres associations nationales de passage à Genève.

Ces membres des premiers comités sont des femmes jeunes, enthousiastes et compétentes . Leur champ d’action est immense et leurs activités sont reconnues. Les journaux les mentionnent, elles ont accès à la radio.

Les fondatrices seront fidèles à l’association jusqu’à leur mort. Léonore Gourfein-Wirt (1859-1944), ophtalmologue, privat-docent, sera membre du comité de 1923 à 1944. Mariette Schaetzel invite le comité chez elle pour son 80e anniversaire, en 1972. Nelly Schreiber-Favre lègue 2500.- frs à l’association en 1979. Ces femmes n’ont ménagé ni leur énergie, ni leur temps, ni leur argent pour que vive l’association.

Conclusion

J’ai essayé de faire revivre quelques-unes de ces « géantes » qui nous ont précédées. Le temps a passé. L’association genevoise a fêté son 90e anniversaire en novembre 2013. Aujourd’hui, c’est l’association suisse qui célèbre son 90e anniversaire.

Je ne suis pas sûre que nous ayons le même enthousiasme , la même énergie et la même détermination que les fondatrices.

Que nous reste-t-il à faire ? L’Etat se charge de bien des tâches qui étaient naguère laissées à l’initiative privée. Les Bureaux de l’égalité fleurissent. Les associations féminines et féministes se sont multipliées. Plus jamais il ne sera question de renvoyer à son foyer la femme mariée, puisque le mariage lui-même est menacé de disparition !

Il nous reste un devoir de vigilance. Il s’agit de vérifier que les acquis durement obtenus ne soient pas sournoisement grignotés pour des raisons budgétaires ou idéologiques.

L’accès des femmes à des postes de pouvoir est encore limité.

Un vaste chantier d’investigation s’ouvre désormais, c’est celui de la place des hommes dans la société.

L’ASFDU saura-t-elle jouer son rôle dans la société complexe du XXIe siècle ?

Danièle Kaufmann Extermann (ancienne présidente de l'AGFDU)
Texte lu lors de la cérémonie du 90e anniversaire de l'Association suisse à Bâle le 17 mai 2014



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